Extrait du chapitre 3

     (1964. Brouillons d’une biographie de Lilith Hevesi. A Csejthe, mai ou juin 1924). Aux orties, le professeur Hàrs ! Après plusieurs mois d’orgies mystico-scientifiques, notre jolie petite Lilith a fini par avoir assez du vieux beau à la mallette de cuir. Dehors ! Elle l’a proprement renvoyé à ses études, et à son laboratoire de recherches (comprendre : l’appartement miteux où il prétend entre deux lamelles de verre débusquer les germes  parfaits de l’humanité future… un deux pièces au dernier étage, j’y suis passé par curiosité tandis qu’il brisait les cœurs au Château).

     Pour se distraire, Lilith qui traverse une de ses périodes de mélancolie a décidé un voyage, une sorte de pèlerinage si l’on veut, vers les lieux inspirés où vécut Erzsebeth Bathory. Celle-là même sur laquelle elle a lu tant de pages sanglantes, entendu tant de choses terribles, et qui l’a habitée le temps d’un film, le temps d’un tournage. Plus longtemps sans doute. Elle a donc pris ses malles de frivolités, ses soieries, ses fards et ses fragrances. Sans oublier son pain de terre molle, cette sorte de mastic immonde que les médecins lui donnent à mordre pendant ses crises. Lilith l’aime comme un ami. Et elle le hait. Elle en joue et s’en moque, le nargue du coin de l’œil et lui fait les yeux doux. Elle a l’intention de rester là-bas plusieurs jours. Le temps qu’il faudra. Qu’il faudra pour quoi ? Nous la suivons comme les laquais d’une cour d’amour dont amants éplorés et chastes donzelles se seraient égayés dans le vent, laissant vides le couloir des soupirs qui mène à la chambre de la reine.


     Extrait du chapitre 4

Pandora – Simpson Omarsian – 1923

     Un groupe d’aventuriers, avec porteurs et mulets chargés plus que de raison, gravit à grand peine un sentier escarpé qui serpente dans les éboulis. L’ascension est ponctuée de regards vers le sommet, une ligne tabulaire, indécise, qui n’approche que très lentement. Plus tard on arrivera à un plateau, vaste et calciné, où se tordent quelques rares silhouettes d’arbres réduits à des troncs noueux.

     Les porteurs soufflent. On empêche l’un d’eux de décharger le mulet qu’il conduit. Il doit attendre encore. Les porteurs s’affalent au pied d’un grand rocher lisse et vertical. Charles Farrell tient son arme à la main, ses compagnons l’imitent. Ils se méfient de quelque chose. Ils s’approchent du rocher, en palpent la surface. Charles Farrell recule de plusieurs pas, lève la tête, ou plutôt la renverse en arrière, recule encore, presque en titubant. Nous voyons enfin ce qu’il voit. La contre-plongée est vertigineuse. Le rocher n’en est pas vraiment un. On découvre un mur cyclopéen, qui s’élève à une hauteur inouïe. Qui court sur la surface plane du plateau jusqu’à une distance infinie.

   Le réalisateur a fait fabriquer une maquette grâce à laquelle, avec le regard de Dieu, on voit le mur s’étirer ainsi sur plusieurs lieues d’une extrémité du plateau jusqu’à son centre. Là, il est presque rejoint par un autre mur semblable. Ils forment un vaste triangle, un chevron à échelle géographique. Sa pointe est prolongée par ce qui semble être un gigantesque conduit qui s’enfonce dans le sol au bout d’un trajet de plusieurs centaines de mètres. Une sorte d'entonnoir colossal que l'on verrait en coupe. On ne comprend pas comment les personnages ont pu se retrouver entre ces deux murs, dans ce goulot, sans s’en rendre compte. On ne comprend pas non plus de quoi il s’agit. Ils progressent maintenant vers cette sorte de tunnel bâti au bout des deux murs.


     Extrait du chapitre 10

     Ce devait être en septembre 1922. Une soirée comme nous en connaissions beaucoup à l’époque à Hollywood et à Los Angeles. Chez Leanore Clark. Il y avait ce soir-là Omarsian et sa femme, Richard Barthelmess, Isobel Elsom, Clarendon, deux ou trois poignées d’autres : la faune habituelle de ces petites sauteries. Je n’étais guère connu que comme une sorte de débrouillard amusant, de pique-assiette à peine dégrossi, mais à l’entregent prometteur, de Frenchie de service à qui l’on faisait pousser la chansonnette : Leanore connaissait personnellement Maurice Chevalier, depuis une escapade parisienne quelques mois auparavant, et elle ne manquait jamais l’occasion de m’affubler d’un canotier et d’une trace bien nette de rouge à lèvres sur la joue, avant de me tirer par le bras au milieu du cercle des convives pour que j’y massacre « Valentine » ou « Faut pas s’en faire », à grand renfort de cabotinades auxquelles on s’esclaffait avant de passer à la prochaine coupe de champagne et de me reléguer au rôle d’objet décoratif. Il y avait aussi Rudolph Valentino. Je me souviens parfaitement de la façon dont il était habillé ce soir-là, pantalon moulant, petit veston cintré très court, écarlate, à double rangée de boutons, foulard de soie. C’est Leanore qui l’avait invité, et qui l’avait prié de venir ainsi accoutré, en torero de salon. Elle était irrésistible lorsqu’elle désirait obtenir quelque chose d’un homme. Et elle se jouait d’eux souvent de la manière la plus vacharde. Valentino, « ce petit moucheron enfariné de Rudy », elle le détestait, d’une de ces exécrations irraisonnées et définitives. Disons qu’une part de jalousie n’y était pas tout à fait étrangère. Ils ne s’étaient jamais côtoyés. Elle ne le connaissait pas et avait tout fait, avec succès, pour l’éviter. A peine avaient-ils dû se croiser au détour d’un studio ou d’une réception. Valentino, bien sûr, ne savait rien des noirs sentiments de Leanore à son égard. Elle s’est contentée de le ridiculiser. De la façon la plus crue et la plus humiliante. Mais elle n’en est pas sortie grandie elle non plus. Passons sur les détails. Il fallait quand même que vous sachiez au moins cela avant que je ne vous parle de Lilith. Que vous sachiez aussi que je n’étais pas encore son amant, même si en quelques occasions notre intimité, émotionnelle, et spirituelle si j’ose employer un si grand mot, avait atteint des profondeurs à laquelle notre union charnelle n’ajouterait finalement que peu de chose.


     Extrait du chapitre 11

     Ils sont quatre à être entrés. Deux femmes vont occuper le premier plan : une sorte de paysanne costaude – interprétée par Clare Greet – pose un candélabre sur la table de chevet et saisit Lilith à bras le corps. Une mère qui réconforte son enfant, une jument qui apaise rudement son petit, à coups câlins de front dans l’encolure. Tout de suite on saisit cette vérité qu’on n’oubliera jamais, même dans les pires moments, même dans l’horreur : la fragilité d’Erzsebeth. L’autre femme est jeune, particulièrement jolie, elle a les yeux clairs, les cheveux clairs aussi ; quant elle est apparue, son visage entier était auréolé de la lumière du candélabre, une sorte de halo, d’aura non naturelle. C’est la très douce May Allison. Omarsian tenait absolument à la faire jouer dans ce rôle, celui d’Anna Darvulia, créature sulfureuse et ambiguë dont le scénario fera l’âme damnée de Lilith, tandis que Dorko (Clare Greet) apparaîtra comme une sorte d’innocente bourrue, capable d’accès de violence maternelle, touchante, mais toujours d’une virilité disgracieuse à souhait, dès que sa maîtresse sera en danger. Deux autres silhouettes inquiétantes restent derrière, mêlées à l’ombre pour ainsi dire, estompes à peine mouvantes, glissant subrepticement à la surface de l’obscurité pour la contenir à l’écart de leur maîtresse. L’une des silhouettes est celle d’un nain difforme, qui se dandine d’un pied sur l’autre. Le dernier personnage, créature longiligne et raide, aux gestes mécaniques, nous rappelle irrésistiblement la statuette noire du cauchemar. Étrangement, certains de ses mouvement provoquent l’apparition de petites étincelles à l’articulation de ses membres et à son cou. Puis Anna Darvulia fait un signe aux deux ombres. Le nain ouvre une porte, par laquelle est projetée sans ménagement à l’intérieur de la chambre une jeune fille à moitié dévêtue. Par la même porte, un verre est tendu à la créature raide et longiligne, qui à son tour, après avoir pivoté sur elle-même sans souplesse, passe le verre à Darvulia. Le verre est plein, de vin semble-t-il.


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