Raymond Roussel


 

    Vers quatre heures, ce 25 juin, tout semblait prêt pour le sacre de Talou VII, empereur du Ponukélé, roi du Drelchkaff.
Malgré le déclin du soleil, la chaleur restait accablante dans cette région de l’Afrique voisine de l’équateur, et chacun de nous se sentait lourdement incommodé par l’orageuse température, que ne modifiait aucune brise.
    Devant moi s’étendait l’immense place des 
Trophées, située au cœur même d’Éjur, imposante capitale formée de cases sans nombre et baignée par l’océan Atlantique, dont j’entendais à ma gauche les lointains mugissements ? (Raymond Roussel, Impression d'Afrique, incipit, 1910)


    Ce jeudi de commençant avril, mon savant ami le maitre Martial Canterel m’avait convié, avec quelques autres de ses intimes, à visiter l’immense parc environnant sa belle villa de Montmorency.
   
Locus Solus – la propriété́́ se nomme ainsi – est une calme retraite où Canterel aime poursuivre en toute tranquillité́ d’esprit ses multiples et féconds travaux. En ce lieu solitaire il est suffisamment à l’abri des agitations de Paris – et peut cependant gagner la capitale en un quart d’heure quand ses recherches nécessitent quelque station dans telle bibliothèque spéciale ou quand arrive l’instant de faire au monde scientifique, dans une conférence prodigieusement courue, telle communication sensationnelle.
    C’est à 
Locus Solus
 que Canterel passe presque toute l’année, entouré de disciples qui, pleins d’une admiration passionnée pour ses continuelles découvertes, le secondent avec fanatisme dans l’accomplissement de son œuvre. La villa contient plusieurs pièces luxueusement aménagées en laboratoires modèles qu’entretiennent de nombreux aides, et le maitre consacre sa vie entière à la science, aplanissant d’emblée, avec sa grande fortune de célibataire exempt de charges, toutes difficultés matérielles suscitées au cours de son labeur acharné par les divers buts qu’il s’assigne. (Raymond Roussel, Locus Solus, incipit, 1914)


    Fou littéraire en sursis d'internement ? Travailleur acharné attelé comme un bœuf au labour méticuleux des champs verbaux ? Pionnier involontaire du Surréalisme, dans la lignée d'un Lautréamont, mais un Lautréamont policé jusqu'au maniérisme et nourri de Jules Verne ? Graine d'oulipien précoce germée dans un terreau pataphysique  ? Voyageur cloîtré aux quatre coins du monde ? Inventeur patenté, filleul ignoré de Charles Cros ? Bricoleur perfectionniste, pondeur inépuisable de rébus glaciaux sur les cases d'un échiquier ? Génie exalté, mégalomaniaque, tombé de haut et sans cesse relevé jusqu'à la dernière chute palermitaine ?... Raymond Roussel est à jamais un être et un écrivain singulier, aux créations déroutantes dans leur forme comme dans leurs intentions.
    Un sien texte posthume apporte sur ses œuvres un éclairage que l'on peut trouver à la fois décevant et fascinant, jubilatoire et frustrant. Il y est question d'une méthode, d'un système d'écriture, d'un procédé.
    
Tout ce que j'ai dit aurait pu ne pas être dit.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

     

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